"Le Monde"
12.02.2007
Le gouvernement britannique et Monsanto ont dissimulé
la pollution d'une réserve
La carrière de Brofiscin, près du village de
Groesfaen, au Pays de Galles, est au cœur d'une
réserve d'espèces sauvages. En 2003, des vapeurs
malodorantes ont rappelé aux villageois que, dans les
années 60, des déchets toxiques y avaient été
enterrés. Depuis, l'Agence de l'environnement
britannique a dépensé quelque 800 000 livres (1,2
million d'euros) afin d'en savoir plus sur la teneur
de ces déchets et les risques qu'ils posent en matière
de contamination, notamment de l'eau. Elle vient
d'annoncer l'ouverture d'une enquête officielle à ce
sujet : la carrière serait un des endroits les plus
pollués du Royaume-Uni. Soixante-sept substances y ont
été répertoriées, dont des dérivés du célèbre et
sinistre agent orange (employé notamment par les
Etats-Unis au Vietnam), des dioxines et des PCB.
Auteur, en 1972, d'un rapport sur la mort par
empoisonnement de neuf vaches, Douglas Gowan avance
aujourd'hui dans le Guardian que "les autorités
connaissent la situation depuis des années, mais n'ont
rien fait". Coupables, selon lui, de négligence et
d'incompétence, elles auraient aussi tenté de
camoufler l'ampleur du problème. Interrogé par le
quotidien britannique, un agriculteur déclare ainsi
n'avoir nullement été prévenu de la présence de
déchets toxiques lorsqu'il acheta des terres dans la
région. Aujourd'hui, le petit ruisseau qui les
traverse vire à l'orange lorsqu'il pleut.
"NOUS POUVONS NE RIEN DIRE ET NE RIEN FAIRE"
Mais les autorités ne sont pas les seules impliquées :
Monsanto, le géant de l'agrochimie, a lui aussi tenté
de dissimuler la pollution. En 1968, ses experts
démontrèrent en effet que les PCB contaminaient bien
le lait maternel, les poissons, oiseaux et espèces
sauvages. Dans un rapport confidentiel sur les
différentes options envisageables par Monsanto, on
peut ainsi lire que "les pressions publiques et
légales visant à éliminer et prévenir la contamination
sont inévitables". "Nous ne pourrons probablement pas
les enrayer, dit encore le rapport. Nous pouvons ne
rien dire et ne rien faire ; créer un écran de fumée ;
fermer immédiatement l'usine ; réagir de façon
responsable [et] admettre les preuves de la
contamination environnementale. "
La société stoppa la production de PCB aux Etats-Unis
en 1971, mais le gouvernement britannique – qui
connaissait les dangers du PCB depuis les années 60 –
l'autorisa à en produire au Pays de Galles, jusqu'en
1977. Monsanto se défend aujourd'hui en avançant que
c'est le ministère de l'industrie qui ne voulait pas,
à l'époque, qu'elle ferme son usine. La société
transfère également la responsabilité de la pollution
aux sous-traitants qu'elle avait chargés de ses
déchets et qui, avertis de la toxicité des produits,
n'en ont pas moins décidé de les enfouir dans la
carrière de Brofiscin jusqu'en 1972. Selon le Daily
Telegraph, les responsabilité s seront d'autant plus
difficiles à établir qu'à l'époque, il était tout à
fait légal d'enterrer de tels déchets.
Jean-Marc Manach